La sexualité des femmes a toujours fait l’objet de nombreux mythes et controverses au cours de l’histoire. Oubliée par la médecine et condamnée par la culture patriarcale et chrétienne, la sexualité féminine reste encore à bien des égards un terrain à explorer dans la recherche scientifique. Ces retards s’expliquent également par une appréhension très masculine de la science et de la sexualité, qui s’est maintenue jusqu’aux premiers balbutiements de la recherche sur le clitoris et les premières grandes enquêtes sur les comportements sexuels à la fin du XXe siècle. Du côté des sciences sociales, les études féministes et de genre ont joué un rôle non négligeable pour combler ce retard scientifique.
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Une recherche scientifique au masculin…
Pendant des siècles, la sexualité des femmes a été ignorée ou réprimée par la société : son absence dans la recherche scientifique jusqu’à une période récente en est une des expressions.
La sexualité des femmes a toujours été considérée comme mystérieuse, insondable ou inexistante, véhiculant au fil du temps un nombre considérable d’idées reçues et de préjugés sexistes, qui subsistent encore aujourd’hui.
La culture judéo-chrétienne occidentale n’est pas étrangère au maintien dans cette ignorance et à la répression sexuelle des femmes. La religion a toujours pensé le plaisir sexuel comme indissociable de celle du péché originel, et la sexualité féminine dans un but exclusivement reproductif.
Cette moralisation et cette enfermement de la sexualité féminine va perdurer avec l’avènement de la médecine moderne au XIXe siècle autour de médecins et de chercheurs qui se lanceront dans d’interminables controverses sur la supposée « hystérie féminine ». A cette époque par exemple, la masturbation féminine est analysée comme l’un des facteurs responsable de l’hystérie. Et en 1865, Isaac Baker Brown, président de la British Medical Society, recommande l’excision pour « traiter l’hystérie, l’épilepsie, l’homosexualité et d’autres formes de folies féminines ».
A la fin du XIXe et au début du XXe siècle, la psychanalyse et notamment les théories freudiennes sur la sexualité entretiendront ces mythes et fausses croyances autour de la sexualité et du corps des femmes. Selon Freud, la sexualité des femmes s’organise autour d’une seule chose : la frustration de l’absence du pénis, et la recherche de la pénétration pour combler ce manque. Ainsi, l’orgasme clitoridien est considéré comme infantile et immature contrairement à l’orgasme vaginal qui marque l’entrée dans la sexualité adulte. Cette analyse misogyne de la sexualité va considérablement marquer la pensée médicale et la recherche scientifique tout au long du XXe siècle, comme en atteste le traité du docteur Moore en 1964 qui définit une femme frigide comme femme n’ayant pas d’orgasme vaginal.
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A la recherche du clitoris oublié… les premiers balbutiements.
La recherche scientifique en matière de sexualité des femmes a toujours été élaborée à partir de regards masculins posés sur le corps des celles-ci. Cette vision androcentrée des sciences commence à être critiquée au XXe siècle par des femmes médecins et psychologues qui se lancent dans la recherche scientifique.
En 1942, Karen Horney est l’une des premières à remettre en cause les théories de Freud sur la jouissance féminine. En 1953, le docteur Alfred Kinsey publie deux grandes enquêtes sur la sexualité, qui ont montré la l’importance de l’orgasme clitoridien et de la masturbation dans le plaisir féminin.
Dans la seconde moitié de XXe siècle, et notamment à partir des années 1970, de nombreuses féministes s’engagent pour la liberté sexuelle des femmes et la libre disposition de leur corps, elles revendiquent ainsi leur autonomie dans la sexualité en dehors de tout pouvoir masculin. Dans la même lignée, elles revendiquent le droit à la contraception et le droit à l’avortement comme moyens de reprendre le pouvoir sur leurs propres corps
En ce sens, la sexologue américaine Shere Hite entreprend en 1976 une enquête auprès de 1844 femmes afin de défendre la primauté de l’orgasme clitoridien, et la reconnaissance de cet organe comme élément de jouissance à part entière.
Il faut pourtant attendre la fin des années 1990 et le début du XXIe siècle pour découvrir l’anatomie précise et le fonctionnement du clitoris. C’est seulement en 1998 que l’on obtient la première planche anatomique exacte du clitoris grâce aux recherches de la chirurgienne australienne Helen O’Connell. Dix ans plus tard, en 2008, la gynécologue obstétricienne française Odile Buisson réalise les premières échographies du clitoris et montre qu’il s’agit en fait d’ « un vaste organe constitué d’une double arche, dont le sommet enserre le vagin ». En 2010, elle entreprend une recherche inédite : l’échographie d’un couple au moment du coït, qui met en évidence la stimulation de la partie interne du clitoris pendant la pénétration vaginale. A ses côtés, l’urologue Pierre Foldès, très engagé dans la lutte contre l’excision, a mis au point une technique de chirurgie réparatrice des mutilations sexuelles féminines. Selon eux, les retards de la recherche scientifique sur le clitoris s’expliquent par la résistance des laboratoires et la persistance des stéréotypes sexistes autour de la sexualité et la jouissance féminine, qui demeurent un « continent noir de la médecine ». « La sexualité est lestée de tous les préjugés et ce n’est pas un champ médical très exploré. On connaît mieux les mécanismes de l’érection masculine que celui de la jouissance féminine parce qu’on s’y intéresse plus », confirme Emmanuele Jannini, chercheur italien renommé, alors que la médecine sexuelle féminine est « un enjeu de santé publique ».
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Et les sciences sociales ?
Du côté des sciences sociales, les études concernant la sexualité des femmes se sont surtout développées à partir des années 60-70 avec l’apparition des women studies et feminist studies aux Etats-Unis. C’est à partir du moment où les chercheuses et chercheurs ont commencé à se pencher sur l’histoire des femmes, qu’ils ont commencé à penser la sexualité féminine comme un objet d’étude, la dissociant notamment de la question de la reproduction. Dès lors, ces nouveaux savoirs se sont constitués dans une perspective critique vis à vis des sciences académiques, considérées comme “androcentrées” (dominées par une vision masculine). L’apparition du “genre” – la construction sociale du sexe – comme cadre d’analyse a également permis de mettre l’accent sur la dimension sociale et culturelle des distinctions sexuelles et d’analyser les rapports de pouvoirs qui s’opèrent dans la sexualité.
En France, depuis plusieurs décennies, le plaisir féminin a été mis en lumière par le biais des grandes enquêtes modernes sur les comportements sexuels, et notamment celles de Nathalie Bajos (Inserm) et Michel Bozon (Ined) qui révèlent les enjeux de genre liés à la contraception, l’avortement, et mettent en lumière les inégalités femmes-hommes qui persistent au cours la vie sexuelle.
Récemment, des enquêtes quantitatives et qualitatives sur l’homosexualité féminine commencent à voir le jour, comme celle de Natacha Chetcuti sur la conjugalité, la sexualité, les trajectoires sociales des lesbiennes. Cependant, ce type de recherche reste encore limité par le manque de moyens et de financements publics attribués aux chercheuses et chercheurs travaillant sur le genre en sciences sociales.
Pour réaliser cet article, ont été consultés :
– M-H Colson, « L’orgasme des femmes, mythes, défis et controverses », Sexologies (2010)
– S. Freud, Trois essais sur la théorie de la sexualité (1905)
– BE. Moore, Frigidity : a review of psychoanalytic littérature (1964)
– A. Kinsey, Sexual behaviour in the human female (1953)
– S. Hite, Le rapport Hite (1976)
– H. O’connell, Anatomy of the clitoris (2005)
– O. Buisson et P. Foldès, The Clitoral complex : a dynamix sonographic study (2009)
– N. Chetcuti, Se dire Lesbienne : vie de couple, sexualité, représentation de soi, Payot, 2010
– C. Guionnet, E. Neveu, Féminins/Masculins. Sociologie du genre, Armand Colin, 2007.
– N. Bajos, M. Bozon, Enquête sur la sexualité en France. Pratiques, genre et santé. La Découverte, 2008.